En janvier, le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, a proposé aux enseignants de CM1 et CM2 une dictée quotidienne. L'avis de François-Xavier Clément, directeur scientifique duÉducation San José, sur la question.
« Prends une feuille et écris ! Le dicton du jour est de Propser MériméeOn imagine alors le maître en tablier gris, l'encrier sur le bureau, et on entend d'un coup la craie craquer sur le tableau après l'annonce du nom de l'auteur et de la plume du sergent-major sur une feuille de papier jaunie. Si l’exercice nous semble dépassé, c’est peut-être parce qu’il s’est transmis de génération en génération comme cours obligatoire pour apprendre l’orthographe avant qu’il ne disparaisse.
Les idéologues des années 1970 ont écarté cet apprentissage pour le remplacer par des « textes cloze », des « dictons préparés » ou des « dictons magiques ».[1]. Quant au texte de Mérimée ou des grands auteurs de la littérature française, nous préférons les articles de revues ou le manuel junior Castors.
Il est intéressant de s’attarder sur les raisons d’une telle idéologie par rapport au dicton. Les méthodes de lecture, globales ou semi-globales, ont eu des effets déplorables et ont produit des générations de lecteurs pauvres, incapables d'écrire correctement et de maîtriser les subtilités de leur langue. Devenus incapables d'épeler, les étudiants français ont vécu la dictée comme une véritable torture.
Plutôt que de s’attaquer aux causes, les programmes successifs ont cherché à briser le thermomètre pour masquer les effets réels de l’apprentissage en amont. Il fallait alors éviter que la dictée ne devienne un exercice discriminatoire, il a été décidé que cet exercice n'était plus souhaitable. Le dicton est devenu socioculturellement discriminatoire.
En fait, les enfants qui ont obtenu les meilleurs résultats provenaient de familles où les parents prenaient soin de compléter la lecture scolaire par la bibliothèque familiale, par des conversations ou par une correspondance régulière. Mais ceux qui n’ont pas eu l’occasion de fréquenter ce langage quotidien soutenu et ce vocabulaire enrichi se sont retrouvés sérieusement pénalisés.
En ce sens, entendre un ministre de l’Éducation réaffirmer le rôle essentiel de la dictée dans les apprentissages scolaires et universitaires semble annoncer le retour d’un certain réalisme dans les pédagogies pédagogiques. Cela me rappelle les propos de la directrice du programme, Mme Souad Ayada, à propos de la grammaire qu'elle a réussi à réhabiliter en disant simplement que cette activité éducative dans l'apprentissage de notre langue n'est pasnégociable[2]. Malheureusement, cela ne signifie pas que ces publicités politiques soient suivies dans les écoles.
L'orthographe de notre langue a naturellement évolué depuis sa naissance. Sans rupture ni brutalité, du vieux François aux Français d'aujourd'hui, il a toujours épousé les contours de la réalité, adaptant son expression aux changements culturels et aux nouveaux développements. Les éditions de dictionnaires en attestent facilement. Cette évolution était à la fois le résultat de simplifications, d'élisions, de néologismes technologiques ou de nomenclature correcte des phénomènes modernes. Et l’apprentissage des langues a scrupuleusement suivi ces étapes dans les classes préparatoires.
La pensée progressiste cherche souvent un moyen de forcer, de perturber, de restreindre même les ajustements naturels étape par étape. Depuis plus de 20 ans, diverses tentatives de réforme orthographique ont tenté de modifier profondément la construction de nos mots d'usage pour les rendre soi-disant plus "accessible», l’apprentissage du français écrit et, donc, de notre civilisation. La conséquence en fut un appauvrissement continu.
Pour André Charlier, l'exercice de la dictée couronne les apprentissages primaires :« Le texte enseigne aux enfants beaucoup de choses pratiques et morales qu'il leur est nécessaire de connaître et de mettre en pratique. Il fait également l'objet d'une analyse grammaticale et logique ; est utilisé pour enseigner l’orthographe. Ceci est très injustement critiqué car deux choses se confondent. Il est certes indifférent d’écrire « comme » avec un seul m – viens – : les Français l’ont écrit ainsi pendant cinq ou six siècles ; affiner le participe présent : cela se fait depuis mille ans ; mettre un F dans « philosophie » : les Italiens font toujours ça. Mais les enfants sont beaucoup plus disposés à diviser leurs propres mots en deux ou trois sections, à en rejoindre d'autres, et c'est grave, car cela prouve qu'aucune idée ou image ne correspond au son entendu et utilisé (...). L’orthographe est donc le moyen d’apprendre à distinguer les idées communes.[3]
L'apprentissage du langage parlé et écrit est la voie du développement de l'intelligence et la voie qui permet à l'enfant d'accueillir la réalité en la nommant, qu'elle soit extérieure ou intérieure. Les enseignants de l'école guident l'enfant, étape par étape, dans le langage et la vie sociale, à travers un projet pédagogique composé d'exigences et d'habitudes. En apprenant la langue, l'enfant construit son identité culturelle et, en parlant, il la révèle.
L'exercice de la dictée n'est donc pas une mode pour les disciples de Mademoiselle « Olombec » ! C'est la manière dont l'enfant écoute, écrit, lit, mémorise et sculpte les mots qui seront bientôt les outils de sa réflexion et de son expression écrite et orale. Car la maîtrise du solfège accompagne l’apprentissage de l’art de la musique, de l’orthographe structure la pensée et de la subtilité de l’éloquence. Il en va de même avec le langage et la musique, ce sont des exercices répétés qui aident progressivement l'élève à acquérir une disposition permanente à réaliser un geste mental et manuel rectifié. Cette disposition est un habitus orthographique qui offre à l’intelligence un chemin facile vers une pensée correcte.
Rappelons-nous ce que nous ont appris les « maîtres » de notre langue. Bossuet, qui a tant marqué le XVIIe siècle par sa pensée et la beauté de son expression littéraire, écrivait ceci au Dauphin en 1678 :« Ne croyez pas, Monseigneur, qu'on vous reprochera si sévèrement pendant vos études, pour avoir simplement violé les règles de grammaire par écrit... les choses elles-mêmes troubleront tout leur ordre. Si vous parlez maintenant contre les lois de la grammaire, vous ignorerez les préceptes de la raison. Maintenant tu perds des mots, donc tu perds des choses...[4]».Malheureusement, cette menace de l'évêque de Meaux s'est réalisée pour beaucoup de jeunes, mais il est toujours temps d'entendre ce mot comme un avertissement pour éviter la barbarie à laquelle nous conduira la barbarie orthographique.
André Groosse terminait la préface de l'édition 1986 de la Grammaire de Grevisse par ces mots qui réaffirment le sens de l'apprentissage de la grammaire et de l'orthographe : «fournir une description aussi complète que possible du français moderne ; porter des jugements normatifs basés sur l'observation des usages, des usages ; permettre aux orateurs et aux écrivains de choisir la direction qui convient le mieux à l'expression de leur pensée et à la situation de communication dans laquelle ils se trouvent.»[5]
[1]Dictée magique : jeu électronique créé par la société d'instruments texane dans les années 1980 et dont l'usage pédagogique s'est développé dans les cours universitaires.
[3]Charlier, André, article dans Itinéraires de collection, éditions NEL, 1959
[4]BOSSUET, Charles-Bénigne,Cartes éducatives sur les dauphins, Paris, Éditions Bossard, 1920, p. 127-128
[5]« Grevisse – Bon Usage – Grammaire française » – 12ºÉdition 1986 – André Grosse
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